Tous les articles par Daniel Curtit

Melisey. Histoire des Vosges saônoises. XIXe siècle.

Le dépaysement (II)

On dirait qu’on mène toujours même bruit dessus rivières ou étangs, durant ces jours d’été brûlants ; voici trois échos presque simultanés du monde médiatique (et culturel) qui invitent à reprendre la balade de dépaysement le long du ruisseau de Mansvillers (Melisey, Belonchamp, Ternuay… en remontant le cours du ruisseau).

L’historien Patrick Boucheron revient sur l’écriture de l’histoire : Écrire l’histoire, dit-il, c’est donner à comprendre la manière dont un peu de temps se plie dans l’espace (…) j’essaie de rendre sensible des récits d’espaces. Ce n’est pas se mettre devant un monument et l’expliquer, ce n’est pas une forme raffinée de tourisme... (France Culture, 13 juillet 2018).
Dans les Controverses du journal Le Monde, au festival d’Avignon (Le Monde, 21-22 juillet 2018), le sociologue Bruno Latour explique : Ce n’est pas l’espace qui définit un territoire, mais les attachements, les conditions de vie. Et j’ajouterais que vous avez un territoire si vous pouvez le visualiser et, bien sûr, que vous tentez de le faire prospérer
Enfin la dernière mise en ligne de la revue Géocarrefour (n° 92/1-2018, l’une des plus anciennes revues françaises de géographie, fondée en 1926) montre un sommaire entièrement consacré à la drôle de question : Si nous imaginons le devenir des cours d’eau… ? L’imagination : une (res-)source bienfaitrice pour la gestion de l’eau ou une traversée trop idéalisée ?  Le numéro est notamment dirigé par J.-A. Perrin qui a soutenu, à Limoges, le 29 mars dernier, une thèse de géographie sur le sujet : Gouverner les cours d’eau par un concept : Etude critique de la continuité écologique des cours d’eau et de ses traductions…

Entre rêve et concept, j’ajoute seulement une troisième petite promenade en images le long du Mansvillers quelque peu bouleversé, à l’automne 2017, par des travaux de restauration visant la continuité écologique : Le chantier du ruisseau de Mansvillers à Belonchamp est sur ce plan exemplaire. Quatre seuils artificiels ont été arasés et le ruisseau a retrouvé sa dynamique (Assemblée générale de la Fédération départementale de pêche, à Athesans, le 22 avril 2018 / voir L’Est Républicain, 25 avril 2018).

Promenade juillet 2018

Les photos sont prises dans le débit d’étiage du dimanche 22 juillet 2018 (un orage avec forte pluie nocturne avait quand même eu lieu, trois jours auparavant)… et l’on voit que la dynamique des ruisseaux et rivières doit aussi compter avec la canicule qui sévit en ce moment, et avec les arbres arrachés lors des dernières inondations de printemps qui obstruent toujours le cours d’eau… En remontant la rivière, d’anciens petits seuils (pour l’irrigation) sont toujours visibles, mais c’est sur le site (arasé) de l’ancien moulin des Prés Villery que les traces d’aménagement hydraulique sont intéressantes, avec ce qu’il reste par exemple d’un chenal creusé dans le grès… Les deux étangs de l’amont, en lien avec une petite pisciculture abandonnée depuis de nombreuses années, retournent aux bois dormant. On ne peut s’empêcher de penser à certaines archives du XIXe siècle, comme à ces rôles de répartition des curages de cours d’eau, opérations initiées majoritairement par les mairies au moins jusque dans les années 1880. Et les habitants d’arpenter les ruisseaux de leur commune, comme à Fresse, en septembre 1838 : plusieurs dizaines de pages manuscrites décrivent l’hydrographie de la commune, l’insuffisance des lits, l’encombrement des berges, plus de 20 petits cours d’eau sont nommés, identifiés…

Mais où sont aujourd’hui les ruisseaux de la Folleterre, des Jovy et du Clos-Bouillon, la goutte des Andyâ et celle de l’Étoit ? Un lieu sans nom vise l’espace anonyme, ces non-lieux si bien étudiés par Marc Augé ; rien que les noms contribuent déjà à transformer un espace en un lieu. Puisse le nom du Mansvillers, qui rappelait déjà un habitat disparu à la fin du Moyen Ȃge, qui mêlait ruisseau, étangs, pisculture, meunerie, irrigation, prés (le ruisseau s’appelait alors ruisseau des Prés Villery)… ne pas se perdre définitivement dans les sapinières et dans un embourbement généralisé que la dynamique des restaurations écologiques ne parviendrait plus à réenchanter…

Les sommaires du bulletin

Les sommaires et les couvertures des bulletins de la SHAARL sont accessibles sur notre site à la rubrique BULLETINS, mais les images ne permettent pas une recherche dans le corpus des titres d’articles, des auteurs…, c’est pourquoi nous réunissons les sommaires des 37 bulletins de la SHAARL dans un même fichier (pdf) ; la recherche par mot dans le contenu du fichier est désormais possible. Seule la rubrique bibliothèque (acquisitions, dons d’ouvrages) a été retirée des sommaires, puisque l’inventaire des livres est mis à jour chaque année sur le site (accessible également à la recherche par mot).

Cliquer sur l’image pour accéder au fichier des sommaires

Ce travail de saisie est aussi l’occasion de rappeler quelques aléas dans l’histoire du bulletin. Les débuts surtout ont été difficiles, car c’est l’activité archéologique qui sollicite l’essentiel des énergies, il n’y a pas vraiment de responsable du bulletin.  Le nombre de chantiers ouverts, durant la décennie 1981-1990, est impressionnant et les rapports de fouilles constituent une grande partie des contributions au bulletin, ceux de Philippe Kahn par exemple (atelier de potiers à Luxeuil), qui sont publiés durant huit années consécutives. Dans ces mêmes années, le secrétaire, Michel Py, souligne comme un leitmotiv le point faible de l’association : c’est le retard des publications. Le bulletin 1982 paraît par exemple avec trois années de retard ! Cette irrégularité aurait pu distendre les liens avec les adhérents, elle perturbe d’ailleurs la rentrée des cotisations, mais il y a, dans ces années 1980, un enthousiasme pour l’histoire et le patrimoine : 102 adhérents au 27 janvier 1982, un an après la naissance de la SHAARL ; deux années plus tard, au 27 juin 1984, 95 nouveaux noms sont ajoutés à cette première liste. En 1992, dans le bulletin n° 11, ce sont 297 adhérents (nouveaux noms) qui s’ajoutent aux précédentes listes. Le bulletin a cette fois atteint sa vitesse de croisière, avec un plus grand nombre d’auteurs, une plus grande variété de sujets, une réalisation de moins en moins artisanale. Dans le rapport d’activité 1985 (nous sommes à l’AG du 21 mars 1986), Michel Py peut écrire : Heureusement, le bulletin a maintenant un responsable, en la personne de Denis Gremaud, mais les problèmes d’impression devront être rapidement réglés si nous voulons retrouver notre rythme de croisière et voir rentrer régulièrement les cotisations. (bull. 5-1985 – p. 6) Il faut attendre le n° 20 de l’année 2001 pour apercevoir le nom de l’imprimeur : 300 exemplaires – Concept Impression – Lure. Denis Gremaud passera très vite le relais du bulletin à Simone Schneider, délais de publication, qualité et variété des contributions vont être de mieux en mieux assurés. La SHAARL va connaître certainement son maximum d’adhésions durant toute cette seconde décennie d’existence, dans les années 1990.

Nouvelle transition et petit soubresaut sans doute au début du nouveau siècle : le bulletin n° 23 de l’année 2004 signale la nouveauté du site internet de l’association, en même temps que s’est constitué un Comité éditorial ; Claude Canard s’occupe de la mise en page et de la maquette de ce numéro. En 2005, au secrétariat, Thérèse Ponsot succède à Marie-Anne Boudot et accepte la responsabilité du bulletin. Le n° 24 (année 2005) est tiré à 360 exemplaires…

Un Comité de lecture plus restreint et animé par Thérèse a su garantir jusqu’à aujourd’hui la qualité matérielle et la régularité de parution de notre revue ; répondre aussi aux intérêts de plus en plus variés des lecteurs de la SHAARL. Les manières d’appréhender le passé sont en effet nombreuses : avec quelles questions ? quels thèmes ? quelle écriture ? quel type de récit ? Il est de plus en difficile pour le comité de lecture de refléter dans le bulletin cette multitude de sensibilités,  de regards sur l’histoire ; à la SHAARL se côtoient l’archéologue, le préhistorien, l’ethnologue, le conteur, le professeur, l’amateur, le curieux… Mais c’est aussi cette diversité grandissante qui peut ou doit être source d’un nouvel enthousiasme, sans doute un peu distinct de celui des années-patrimoine et mémoire  1980, diversité qu’il faut apprivoiser pour continuer de croire en l’histoire.

La SHAARL au pays clervalois

Un grand merci aux amis de l’association Mémoire et Patrimoine du Pays Clervalois (MPPC) qui ont reçu la SHAARL, mercredi 11 avril 2018, pour une découverte de leur petite ville (environ 1000 habitants). Un accueil des plus généreux et chaleureux attendait la dizaine d’adhérents de la SHAARL au château de Clerval, qui abrite le musée de la Mémoire et de la Paix. On ne dira jamais assez l’intérêt de ces échanges entre associations, non seulement pour découvrir l’histoire et les patrimoines de régions voisines, mais aussi pour débattre sur toutes les questions qui animent et habitent les associations d’histoire locale : devenir des petits musées d’histoire, organisation d’expositions en relation avec les collections, acquisitions, conservation, éducation, plaisir… autour d’une multitude de patrimoines qu’il faut préserver, étudier…

J.-Claude Mottaz, Mme Chrétien et d’autres bénévoles nous ont fait découvrir le musée de la Mémoire et de la Paix

Nous quittons le musée pour une autre ancienne bâtisse toute proche et la faconde intarissable de Gérard Blanc nous fait passer de l’orgueil des drapeaux et des flammes (Rimbaud) aux arts du feu. Car Clerval, dès le début du XVIIe siècle, a été le siège d’une importante faïencerie (Corinne Goy, INRAP Besançon, est la grande spécialiste de cette céramique médiévale et moderne)…

Mais l’histoire touche jusqu’au présent, avec une viticulture qui fut florissante (et les descentes vers les caves sont toujours bien visibles), avec une industrie reliée aux forges d’Audincourt… Colombages, anciens murs d’enceinte de la ville et de nombreux autres éléments architecturaux inscrivent le passé dans la commune d’aujourd’hui. Les efforts de restauration sont évidents, manifestes également les difficultés propres aux zones rurales, avec tout un habitat en déshérence ; le presbytère et son jardin de curé, par exemple, attendent une hypothétique reconversion. Le territoire offre heureusement plusieurs centaines d’emploi, dans la sous-traitance automobile, l’agroalimentaire (fromages Ermitage), la plasturgie, mais beaucoup d’employés ne sont pas des habitants de Clerval (taux de chômage en 2014 = 18,4, bien au-dessus de la moyenne nationale, d’après les données de l’INSEE). Le tissu associatif reste un garant de cohésion, de lien, de solidarité, de convivialité, sans doute encore plus difficile à conforter en milieu rural et dans les domaines de la culture.

La mémoire du passé est un puzzle toujours inachevé, nous le mesurions, dans l’embellie printanière, en retournant au cœur médiéval qui bat toujours – Patrick Guillot nous l’a fait très vivement ressentir, à l’extrémité de l’éperon barré qui surplombe la vallée du Doubs. Sur la motte castrale de la Malatière, au-dessus du village de Rang, les sentiments de la SHAARL vibraient à l’unisson.

Suite aux discussions avec Patrick Guillot au sujet de fouilles archéologiques, Pierre Moret nous communique ses remarques (voir commentaires) et un article de presse récent à propos des pillages :Encore merci à tous les amis clervalois, sans oublier Choupette et son compagnon…

Le dépaysement…

(Les articles classés dans L’air du temps, le plus souvent très subjectifs, n’engagent que leurs auteurs.)

Patrimoines

Lors des dernières Journées européennes du patrimoine (16-17 septembre 2017), tous les passionnés d’histoire ont pu retrouver, admirer, aimer un patrimoine de prédilection. Le mot patrimoine se décline aujourd’hui de mille manières : beaucoup d’amis de la SHAARL peuvent rêver devant un éclat de silex, un vieil outil, l’avers d’une monnaie, une collection de vieilles photos, un mot de patois, un château féodal… Bref, l’émotion patrimoniale peut jaillir aujourd’hui non seulement de la cathédrale mais aussi de la petite cuillère (mots d’André Chastel définissant le service de l’Inventaire), et l’on n’oubliera pas non plus le patrimoine immatériel, le patrimoine naturel, le patrimoine mondial de l’Unesco… et j’en passe. Le magazine Télérama (12 septembre 2017) nous proposait d’ailleurs sur Internet un bel entretien sur le thème du patrimoine : François Chatillon, architecte en chef des Monuments historiques, dit qu’il est mal à l’aise avec le mot, il réfléchit notamment aux notions de restauration : Restaurer, ça veut dire quoi par rapport à conserver ? Et restituer ? Et réhabiliter ?

Restauration

La SHAARL n’est bien sûr pas seule à participer aux entreprises de préservation ou de restauration du patrimoine local, les politiques de l’eau, par exemple, se sont fixé aussi des objectifs de restauration du patrimoine naturel des cours d’eau, au nom d’un précepte apparemment très scientifique, répercuté sur beaucoup de médias et inscrit dans la Directive-Cadre sur l’Eau (DCE) édictée  par l’Union européenne depuis 2000, dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques en 2006 (LEMA 2006), dans la loi Grenelle de 2009-2010 (Trame verte et bleue) : au nom de la continuité écologique, c’est-à-dire principalement de la libre circulation des poissons et du bon transport des sédiments, les obstacles à l’écoulement de l’eau doivent être arasés.
En Haute-Saône, près de huit-cents ouvrages, seuils et barrages, auraient été identifiés (Voir article : Passion pêche, dans L’Est Républicain du 18 mai 2015) ; la fédération de Haute-Saône pour la pêche s’est engagée nettement, depuis plusieurs années, aux côtés des pouvoirs publics, dans la réalisation de plusieurs projets jugés ambitieux pour la restauration de la continuité écologique.

Aux abords du moulin des prés Vilery (Belonchamp, photo 25 janvier 2018).

Les résultats de ces travaux d’aménagements ne sont sans doute pas encore mesurables, leurs coûts élevés n’offrent guère cependant le droit aux erreurs : la réalisation de passes à poissons aux barrages de Geneuille et Voray, par exemple, sur l’Ognon, a coûté 1 235 412 euros (TTC) ( L’Est Républicain du 28 juin 2015). Notons également la réalisation de vidéos particulièrement louangeuses : les nouvelles adaptation et modernisation des sites hydrauliques intégrant les enjeux environnementaux ne souffrent guère la critique, on visionnera par exemple le film tourné en 2012 sur les travaux d’effacement du barrage du Creusot, à Fresse (Haute-Saône). Le coût de cet arasement de barrage, sur le ruisseau du Raddon, avoisine les 500 000 euros. La Haute-Saône poursuit toujours cet ambitieux programme de restauration des cours d’eau : quatre barrages sur le ruisseau de Mansvillers (qui se jette dans l’Ognon à Melisey, avec le dérasement achevé du barrage du moulin de Pré Villery), le barrage du moulin Saguin, sur le Breuchin, à Amage (le moulin a été acheté par la commune et un projet de réhabilitation, initié par la nouvelle communauté de communes des Mille Étangs, est en cours)…
Cette présentation concernant la restauration de cours d’eau qui nous sont familiers peut apparaître critique, je ne souhaite pourtant pas alimenter une opposition manichéenne (celle qui fait rage depuis quelques années, par exemple entre les propriétaires de moulins et la puissance publique). Je ne connais pas à vrai dire le fin mot d’une affaire toujours complexe quand elle met l’écologie en jeu et celle des rivières en particulier ; d’une affaire qui a aussi une longue histoire : la plainte des pêcheurs contre les pollutions est ancienne (cf. Gabrielle Bouleau, « Des plaintes des pêcheurs aux chiffres des experts », dans Une autre histoire des Trente Glorieuses, La Découverte, 2013-2015), elle aboutit à la première grande loi sur la pêche (31 mai 1865), dans laquelle se lisent déjà le classement des cours d’eau, la pose d’échelles à poissons… ; notons encore la grande loi sur l’hydroélectricité, qui remonte à 1919. Mon propos se veut modeste : le patrimoine naturel, celui des cours d’eau en réflexion dans cet article, offrent aussi des paysages à vivre et à rêver.

Paysages

Durant toute notre histoire, les paysages (les pagus habités par des paysans païens) enchevêtrent trois motifs : le sauvage, le rural, l’urbain (cf. Augustin Berque, Écoumène, Belin, 1987), autrement dit la forêt (foris pourrait indiquer l’en-dehors, voir forban, faubourg, forcené, forain…), les campagnes et la ville. Ce sont ces éléments de notre environnement immédiat qui nous motivent, qui font naître en nous l’émotion paysagère. Les paysages de nos vies naissent de cette émotion première, de cette mise en mouvement des hommes en relation avec leur espace (on rappellera aussi l’origine commune des mots rustique, room, Raum… qui disent l’espace).

Exemples :

L’écrivain voyageur Jacques Lacarrière, qui raconte ses 1000 kilomètres à pied à travers la France (Chemin faisant, 1974) souhaite avant tout redécouvrir des paysages de France ; il s’arrête – c’est la première page du livre -, au bord d’un canal : Qu’y a-t-il donc dans les écluses qui puisse encore nous fasciner ainsi ? Quand il passe à côté de Fougerolles, ce sont les eaux captives de la Combeauté qui l’attirent et le moulin de Marcel Saire qui l’inquiète particulièrement, monstre immobile secrétant frénétiquement ses sacs de farine comme la reine des termites ses milliers d’œufs.

Charles Cardot, le pharmacien de Melisey qui photographie les Vosges saônoises avant 1914, éprouvait aussi certaines émotions quand s’est achevée la construction du barrage du Creusot, vers 1895 ; un monument de granit en faveur de l’industrie nouvelle, qui a donné de la peine aux engins de chantier, en 2012, quand il s’est agi de le démolir.

Le barrage du Creusot aujourd’hui, après son arasement en 2012 (photo 9 décembre 2016).

Le paysage n’est pas seulement la nature imaginée, symbolique, romantique, il est aussi notre cadre de vie, l’espace vécu au quotidien, avec ses bonheurs, ses ressources, ses nuisances parfois… Quelques lignes et images pour préciser enfin le dépaysement qui m’a saisi dans la promenade du vendredi 8 septembre 2017, au fil du Mansvillers, et encore ce matin, jeudi 25 janvier 2018…

À pied depuis les granges Baverey (Melisey), j’ai rejoint le ruisseau de Mansvillers. Le chemin arrive très vite à l’ancien moulin des prés Vilery, où des ruines abritaient encore, à la fin du XXe siècle, le fils du dernier meunier, Henri Grosjean, surnommé Tatène, qui vécut près de son moulin, libre et misérable, jusqu’à sa mort en pleine forêt, le 31 décembre 1989. C’est à cet endroit, près du ruisseau qui faisait une superbe chute par-dessus le rocher, que je découvre le monde des moulins et que mes promenades moulinières ont commencé (voir « Facettes meunières ou le drame de la subsistance », dans La lanterne et le hérisson, fascicule 2, SHAARL 1997, p. 56).

Au nom de la restauration écologique, d’une notion qui ne semble pas encore pleinement validée par les études scientifiques, d’une prise en compte uniquement objective des paysages, la chute d’eau de l’ancien moulin a été arasée et il faut aller sur le cadastre napoléonien pour retrouver trace de l’ancien paysage.

Promenade septembre 2017 :

Promenade janvier 2018 :

Pareil traitement semble s’appliquer à présent sur le Breuchin, au moulin d’Amage qui a pourtant l’ambition de réunir dans ses murs l’histoire de l’hydraulique ancienne sur le Breuchin (voir L’Est Républicain du 5 septembre 2017).

Dernières  journées du patrimoine, l’automne dernier, et promenades d’aujourd’hui ont été l’occasion d’évoquer quelques sentiments géographiques : le pays que nous habitons n’est pas uniquement un lieu physique sur la Terre mais aussi -et tout particulièrement les paysages de l’eau- un endroit où se mêlent et s’échangent techniques et symboles, un milieu humain pour tout dire, que les politiques de l’eau ne sauraient bouleverser si brutalement.

(voir aussi Dépaysement II)

Aux références dans le texte, j’ajoute :
- Quelles rivières pour demain ? de Christian Lévêque (Quæ, 2016).
- Démanteler les barrages pour restaurer les cours d'eau - Controverses et représentations, de R. Barraud et M.-A. Germaine (Quæ, 2017).
- Carte des sites déjà détruits ou menacés sur le blog très informé de l'association Hydrauxois ou encore sur le site de l'Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau.
- Le dépaysement. Voyages en France, de Jean-Christophe Bailly (Seuil, 2011).
- L’eau et les rêves, de Gaston Bachelard (J. Corti, 1943).
- Histoire d’un ruisseau, d’Élisée Reclus (1869).
- La France sensible, de Pierre Sansot (Champ Vallon, 1985).
- Le théâtre de l’eau : rivières, riverains et rivalités dans les Vosges saônoises (XIXe – XXe siècles), Daniel Curtit (revue Rencontres Transvosgiennes, n° 7, 2017, pp. 35-68). 
- Les tribulations de l’Ognon. Rivière et riveraineté sous le mont de Vannes au XIXe siècle, Daniel Curtit (bulletin de la SHAARL, n° 37, 2018, pp. 100-124).
Un appel de Paul Delsalle pour motiver des étudiants face à la raréfaction des travaux de recherches historiques régionales en archives, surtout pour les périodes médiévale et moderne.