Histoire familiale, histoire locale, histoire collective

Les Archives départementales présentent une exposition que l’on peut visiter jusqu’à la fin de l’année (aux heures d’ouverture habituelle des Archives) et qui est consacrée à des familles (Petitclerc et Cousin) qui ont marqué l’histoire vésulienne. Le dernier bulletin de la Shaarl se fait aussi l’écho d’histoires personnelles et familiales et L’Est Républicain (17 octobre 2022) rappelle, dans le cadre de la Bouquimania 2022, cette trouvaille faite dans une déchetterie, en 2021, de 300 cartes postales qui ont documenté l’article : Cartes postales, éclats de vie, histoire familiale (bulletin Shaarl 2022). On dirait que le papy-boom d’aujourd’hui, ces générations de l’après Seconde Guerre mondiale, qui ont profité de la croissance économique des Trente Glorieuses (1945-1975), de l’État-providence,  et vécu à bonne distance des théâtres de la guerre,  éprouve un besoin d’inventaire familial ; beaucoup réveillent en tout cas cette mémoire en la situant, et c’est la gageure à soutenir, entre l’autobiographie et l’histoire générale. On se croyait bien français, de peau blanche, portant un nom sans histoire (ma grand-mère paternelle s’appelle Martin), et on découvre bientôt une « étrangeté invisible » (Camille Lefebvre), ne serait-ce qu’en relevant les lieux de naissance de ses huit arrière-grands-parents. De nombreuses origines en dehors de la France, avec des noms et des langues qui se sont perdus dans les familles ; les traumatismes ont instauré aussi un silence, mais l’on veut connaître aujourd’hui les soubresauts qui ont conduit à son existence, avoir meilleure conscience aussi de l’inconfort de ceux qui traversent, au présent, les convulsions de l’histoire. Blague ordinaire en Europe centrale : je suis né à tel endroit, j’ai fréquenté l’école dans un autre pays, je me suis marié dans un troisième, j’ai travaillé dans un quatrième, ma place au cimetière sera encore dans un autre et… je suis toujours resté à la même place. Difficile d’ordonner alors sa généalogie. Combien de dépendances nationales pour l’Ukraine, par exemple, depuis 1917 ? Autre raison enfin qui peut expliquer le grand intérêt du moment pour l’histoire familiale, c’est la période que nous venons de vivre : « Ce temps de solitude et d’enfermement fut pour beaucoup consacré au rangement, notamment des photos de familles », écrit Annette  Wieviorka, la grande historienne de la Shoah, qui va plus loin que le rangement et publie Tombeaux – Autobiographie de ma famille (Seuil, 2022). Parus cette année également, les livres de Camille Lefebvre (historienne de l’Afrique du Sahara et du Sahel, qui enquête sur le passé de ses quatre grands-parents), À l’ombre de l’histoire des autres, et de la journaliste (France Inter) Sonia Devillers, qui démêle son ascendance roumaine dans Les exportés. Et si l’on se sent parfois un peu découragé par ce qui se passe à la surface de notre planète, on peut se plonger dans le grand livre du juriste Philippe Sands, qui vient d’être réimprimé dans le Livre de Poche : Retour à Lemberg (2017). Lemberg (nom de l’époque austro-hongroise), c’est aujourd’hui Lviv, la grande ville occidentale de l’Ukraine, et c’était Lwów, au temps de la Pologne… (Voir encore L’Est Républicain, 5 novembre 2022)