Calamité (III)

Reportons-nous seulement un demi-siècle en arrière : la France traversait déjà, en 1969, une pandémie qui provoquait 31 226 décès en deux mois (Voir l’article en ligne publié par L’Est Républicain et intitulé : Grippe de 1968 : un million de morts dans l’indifférence générale).

Certains media ont heureusement pris  un peu de distance avec l’actualité dramatique en rappelant les épidémies anciennes. La moitié sans doute de la population européenne aurait sombré après la grande peste Noire de 1348 ; un curieux souvenir persiste à Belonchamp (70), avec le millésime 1349 gravé sur le socle de la croix de la Peste, toujours en place, et un saint Sébastien sculpté sur le fût, à l’opposé du Christ.

Croix de la Peste, Belonchamp (Dessin de Pierre Bernardin, 1988)

Les écrivains du dix-neuvième siècle n’ont pas manqué de parler du choléra de 1832 ; George Sand (1804–1876) se demande par exemple si elle doit quitter Paris pour sa campagne de Nohant et relate, dans Histoire de ma vie (1855) : « (le choléra) approcha rapidement, il monta, d’étage en étage, la maison que nous habitions. Il y emporta six personnes et s’arrêta à la porte de notre mansarde, comme s’il eût dédaigné une si chétive proie. […] afin d’éviter d’inutiles angoisses, nous étions convenus de nous rencontrer tous les jours au jardin du Luxembourg, ne fût-ce que pour un instant, et quand l’un de nous manquait à l’appel, on courait chez lui. Pas un ne fut atteint, même légèrement. Aucun pourtant ne changea rien à son régime et ne se mit en garde contre la contagion. » (Le Livre de Poche, p. 607).
Chateaubriand (1768–1848) ne rejoignait sans doute pas, au même moment, le groupe du Luxembourg (encore non estampillé Facebook) ; dans ses mémoires, il relate aussi le choléra de 1832 après un historique intitulé Pestes et conclut : « […] le choléra nous est arrivé dans un siècle de philanthropie, d’incrédulité, de journaux, d’administration matérielle. Ce fléau sans imagination n’a rencontré ni vieux cloîtres, ni religieux, ni caveaux, ni tombes gothiques ; comme la terreur de 1793, il s’est promené d’un air moqueur à la clarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, qui racontait les remèdes qu’on avait employés contre lui, le nombre des victimes qu’il avait faites, où il en était […] Et chacun continuait de vaquer à ses affaires, et les salles de spectacles étaient pleines. » (Mémoires d’Outre-Tombe, livre 35e, chap. 15) Des pages passionnantes et qui rendent particulièrement sensible le monde encore plus neuf d’aujourd’hui, celui de BFM, twitter, Fox news, le monde de l’information en continu, qui met en tension différentes philosophies.

La pensée de l’Écclésiaste (« Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » Eccl. 1,9) contraste en effet avec celle de l’historien plutôt attentif aux changements et que pourrait traduire la phrase de Marguerite Yourcenar choisie en préambule de l’émission de J.-N. Jeanneney, Concordance des temps : « Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait dit Racine, vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d’y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes ou les problèmes qui diffèrent ou les solutions à y apporter. »