Archives par mot-clé : L’air du temps

Internet, notre allié ?

Je viens d’effectuer une petite recherche sur Joseph-Etienne Pouguet, charpentier, mécanicien et meunier à Ornans, qui est à l’origine de la construction des roues à eau pendantes qui ont équipé, à partir des années 1810, bon nombre d’établissements qui trouvaient leur énergie dans le courant de la Loue. La Société d’encouragement pour l’industrie nationale lui a décerné un prix, en 1821… Cette association, fondée en 1801 par Bonaparte, existe toujours et conserve la mémoire du patrimoine industriel en diffusant un bulletin (quelques centaines à plusieurs milliers de pages chaque année, depuis 1801)… Pour trouver un compte-rendu relatif à l’invention de Pouguet, je pars donc à la recherche d’un bulletin sur Internet et trouve effectivement quantité de documents de cette société en vente sur la plupart des sites marchands ; le prix moyen d’une revue annuelle oscille autour de 50-100 euros ; mais quelle année choisir ? plusieurs milliers de pages, quelques dizaines de bulletins entre 1810-1830…

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J’ai eu un mauvais réflexe avec les sites marchands, car la Société d’encouragement possède son propre site, avec la mise en ligne de tous les bulletins des années 1801 à 1943 et un outil de recherche permettant d’accéder, en quelques minutes, aux trois occurrences Pouguet et donc aux articles décrivant son invention (année 1822). C’est rapide, gratuit, efficace.

Petite leçon : avant d’acheter souvent très cher un document qui va vite s’empoussiérer sur le rayon d’une bibliothèque, consulter les ressources numériques, par exemple Gallica (Bibliothèque nationale de France) et ses millions de ressources numériques.

Ces quelques remarques invitent seulement à une réflexion sur la constitution, la composition et l’utilisation future de nos collections et de notre bibliothèque… Des trésors sont bien sûr partout en perdition, et tout particulièrement des archives, des papiers… que la SHAARL sait très bien repérer dans sa quête annuelle de livres par dizaines de tonnes (Bouquimania) ; des archives images concernant notre arrondissement (cartes postales, photographies…) sont aussi à surveiller sur les sites marchands et n’excluent pas bien sûr un commerce intelligent… Mais la confrontation avec les ressources numériques en ligne n’est-elle pas de plus en plus nécessaire ?
Les sciences sociales, l’histoire connaissent aujourd’hui une effervescence, source d’un nouvel enthousiasme, abordent le passé et le présent en mêlant formes, approches, méthodes différentes. La collection, la compilation sont bien sûr utiles, nécessaires à l’histoire, mais son écriture n’a plus de lecteurs, si elle devient indigeste, simple machine enregistreuse de faits… À la preuve du document doivent s’ajouter le plaisir et l’émotion d’une réflexion…

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Appel à contribution : une enquête de belle envergure est conduite sur les linteaux de Haute-Saône, depuis quelques années, conjointement par la SALSA et la SHAARL. Une poignée d’images, une définition de cet objet architectural, un essai de mise en ordre, de réflexion, quelques récits d’enquêtes sur le terrain… ne seraient-ils pas la bienvenue sur nos sites respectifs ? Pour susciter les curiosités, créer une appétence,  du livre à venir dont on parle, par exemple…

Sur ce sujet, Michelle Marchal (shaarl) nous signale une conférence et un site :
Les secrets des marques des tailleurs de pierre, par Claude Oberlin
(mardi 9 février 2016, à 18h30,  au PMC à Colmar / Pôle Média-Culture Edmond Gerrer / 1 Rue de la Montagne Verte, 68000 Colmar)
Voir le site de Claude Oberlin consacré à la glyptologie, qui étudie les signes gravés dans la pierre, les marques de tâcherons, par exemple… et encore ces quelques pages évoquant les linteaux.

Les archives, « le tourbillon du kaléidoscope »…

Les archives conservées par la SHAARL sont de toute nature (papiers de l’avoué Mougenot de la fin XIXe siècle, un herbier provenant de la mairie de Port-sur-Saône, des collections de journaux…) et Stéphane Brouillard, qui dépouille et classe inlassablement tous les dossiers, nous remet une photographie présente dans un catalogue de l’usine Lautenbacher qui était située rue Jean Jaurès, à Lure, à l’emplacement actuel des résidences « Les Eaux vives« , construites dans les années 1990.

Les "Eaux vives", à Lure
Résidence « Les Eaux vives » (Lure – 70. Photo 2011)

Le document photographique est une invitation au voyage dans le temps saisissante. Confrontons le paysage usinier du début des années 1960 à la rue Jean Jaurès d’aujourd’hui… La date de la photo est incertaine, on voit les poteaux électriques, des plaques d’égout, les trois maisons construites en face de l’usine, entre la rue Neuve et  celle du mont Randon. On n’aperçoit âme qui vive autour de l’usine, dans les rues, dans les jardins ; la photo aérienne est prise sans doute très tôt, le soleil ne dessine aucune ombre, c’est un jour d’été, de vacances peut-être… En grossissant l’image, qui a une bonne résolution, on voit des rideaux et des volets de chambres tirés, des fenêtres ouvertes qui apportent la fraîcheur, et le bruit de l’avion a peut-être réveillé Mme Kipe, ou ma grand-mère Marguerite, qui ira au jardin. Encore un détail visible, qui ranime un souvenir de piqûre douloureuse : au coin de l’une des maisons, près du jardin, une ruche…
(cliquer sur les images)

Un blog consacré à une chronique de la Grande Guerre à partir d’extraits du journal Le petit Comtois nous offre une autre image du même endroit : l’usine Grün, qui a précédé l’établissement Lautenbacher… Une seule maison, celle de M. et Mme Maille,  apparaît en face de l’usine, sur le chemin du mont Randon. Au-dessus des toits à sheds, les hautes cheminées disent l’absence de distribution électrique ; l’image est de 1929.

Usine Grün à Lure(Usine Grün, à Lure )

Une usine, des plaques d’égout, de hautes cheminées, des fils électriques, une résidence d’aujourd’hui avec des voitures, des maisons de l’entre-deux-guerres avec des jardins, une journée particulière, une ruche… : les archives mêlent le singulier, l’intime parfois au collectif, permettent l’approche d’une époque, d’un lieu, d’un milieu… Qu’elles soient fragments matériels, murmure de milliers de mots, dessins, photographies…, « Mille fois devant les yeux tournoie le kaléidoscope (…) Le sens de l’archive a la force et l’éphémère de ces images une à une convoquées par le tourbillon du kaléidoscope. » (Arlette Farge, Le goût de l’archive. 1989).

Bouquimania, l’archéologie des livres…

La Bouquimania qui vient d’avoir lieu, grande foire aux livres organisée par la SHAARL depuis 24 années, magistralement installée dans le paysage culturel de la région luronne, donne l’occasion de réfléchir à une activité finalement assez étonnante pour une petite société d’histoire (et d’archéologie) locale : collecter, dans les 32 déchetteries du Sytevom (Hte-Saône + Rougemont et Baume-les-Dames et Clerval…) tous les « rejets » de livres, les trier… et les redistribuer chaque année à l’automne, dans une grande foire aux livres… L’Est Républicain s’est très largement fait l’écho de la Bonne santé de la Bouquimania, de cette Revanche du papier… (voir la revue de presse). Environ 300 000 livres présentés, plusieurs dizaines de tonnes d’ouvrages récupérés chaque année, et des milliers de visiteurs… des chiffres qui impressionnent, qui semblent même encore en hausse ces dernières années, des chiffres peut-être utiles à relever, à conserver, qui serviraient l’histoire du livre, de son devenir entre matérialité de papier et support numérique.

D’un côté, on se débarrasse des livres, comme si le poids des bibliothèques devenait impedimenta contrariant la mobilité ou la légèreté domestiques, devenait entrave à un rythme de vie plus effréné, qui exclut le temps des livres… et de l’autre, on se précipite nombreux dans l’immense librairie éphémère de la Bouquimania. C’est que la fourmilière des bénévoles qui s’activent dans la grande salle du Sapeur (à Lure) continue d’aimer le papier. L’art des typographes ne lui est pas indifférent, qui donnent à la page imprimée un certain relief favorable à la lumière et à la lecture des caractères. Le livre est une affaire des sens, de la vue et du toucher tout particulièrement, et pas seulement du sens des savoirs… et tous ceux qui aiment l’histoire ont aussi le goût du livre, de l’archive, des papiers qu’il faut collecter, préserver, communiquer, mettre en valeur… et la SHAARL, dans cette collecte immense, se sent un peu archiviste, et résiste à l’immédiateté, à l’immatérialité ou à l’éphémère du monde numérique. Ainsi la Bouquimania participe-t-elle d’une archéologie des livres et des savoirs, s’appuyant sur les formes traditionnelles de la connaissance (le livre) pour commencer d’apprendre à répondre peut-être aux questions de demain (comment archiver, conserver le document numérique ?), instaurant finalement un commerce intelligent et profitable à tous entre les nouvelles technologies qui conditionnent de plus en plus notre présent, et les vieilles humanités. Le livre, son passé, son avenir, c’est justement le grand sujet de réflexion de l’historien Roger Chartier ou de Robert Darnton, le directeur de la bibliothèque de l’université d’Harvard (voir videos et références en cliquant sur le nom des auteurs).

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La couleur de nos maisons…

Le donjon d'Oricourt
Le donjon d’Oricourt

L’histoire a bien sûr toutes sortes de facettes et ses échos nous parviennent contrastés, ce matin. On aurait aimé assister aux Rendez-vous de l’histoire, à Blois, qui avaient pour thème cette année : Les rebelles. Ils sont curieusement perturbés par une querelle faite à Marcel Gauchet : des écrivains refusent que la leçon inaugurale soit prononcée par un « non-rebelle », directeur de la revue Le débat, qui se serait opposé à Foucault, à Bourdieu… Sa belle réponse (à lire par exemple dans Le Monde) rappelle toute la lignée droitière du rebelle, qui n’est pas à confondre avec le révolutionnaire…

Soue à porcs (Melisey)
Soue à porcs (Melisey)

Aucune atmosphère germanopratine par contre à la conférence donnée hier soir à Lure, par J.-M. Chanson, qui s’intitulait : Terre et pierre. Cet adhérent de la SHAARL nous embarquait avec passion dans les ères géologiques et à travers l’immense variété des productions minérales qui colorent et agglomèrent encore aujourd’hui les façades de nos villages. Cartes géologiques, dominante chromatique des villages, toute une géographie de la couleur haut-saônoise a défilé sur l’écran durant deux belles heures. A l’inverse de l’histoire professionnelle souvent très spécialisée, une société d’histoire locale comme la SHAARL rassemble des amateurs aux intérêts les plus variés, qui ne jalousent pas l’historien professionnel, mais incitent, même dans le balbutiement ou la cacophonie parfois, le public le plus large à sympathiser avec leurs regards. Ainsi s’effectue la transmission des connaissances et des mémoires les plus diverses : sans ces amateurs qui aiment ce qu’ils regardent, l’historien professionnel resterait isolé et presque inaudible.

Belmont, près de Lure
Belmont, près de Lure
Le pont de Melisey
Le pont de Melisey

       Pour exemple, hier soir, J.-M. Chanson dépassait l’opposition entre sciences de la nature et sciences de l’homme, maniait un double alphabet en portant la parole des éléments naturels, des objets non-humains… L’historien local, qui n’a jamais eu en vue les millions d’années, aura beau jeu de ramener le géologue à l’étroitesse temporelle. Signalons par exemple l’importance d’une architecture ligneuse et terreuse encore bien en place au XIXe siècle, avec bien sûr le risque afférent des incendies qui provoque, dans les années 1850, des arrêtés préfectoraux interdisant de recouvrir les toits avec du chaume ; des révoltes s’ensuivent (comme dans la campagne angevine, en 1854), car les budgets paysans et les murs de terre ne peuvent supporter le poids d’un toit de tuiles ou de « laves ». La batteuse mécanique s’avérait bientôt plus efficace que le Préfet, la technique plus radicale que la politique : si le fléau épargnait la tige de seigle, la machine l’écrasait et mettait bas ainsi les chaumières. Note d’histoire que nous rajoutons pour bousculer encore la multiplicité des environnements si changeants et des temporalités que la conférence de Jean-Marie articulait si utilement, à l’heure difficile de la transition écologique, qui n’est pas affaire seulement de technique et de gouvernement, mais aussi de façons de penser, de réfléchir, lesquelles évoluent moins vite que nos impacts sur la planète.